Propulsés de Montmartre à L.A. par «Amélie»
Par Annick PEIGNE-GIULY — 23 mars 2002 à 22:41 (mis à jour à 22:41)
Rencontre avec cinq techniciens du film de Jeunet nominés aux oscars.
Depuis le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, ils étaient dispersés sur d'autres tournages, mais ce week-end ils se retrouvent tous à Hollywood. L'image, le son, la déco du film. Trois métiers et cinq techniciens du cinéma français qui sont, pour la première fois, nominés aux oscars. Un chef opérateur, un ingénieur du son, une ensemblière, un mixeur, une chef déco qui accompagnent le réalisateur Jean-Pierre Jeunet et le scénariste Guillaume Laurent, eux aussi nominés.
«Des partis pris forts». La plupart suivent le travail de Jeunet depuis Delicatessen. Comme Vincent Arnardi le mixeur, Aline Bonetto la chef déco et Marie-Laure Valla l'ensemblière. Parfois même depuis ses courts-métrages, tel Bruno Delbonnel, le chef-opérateur qui a écrit avec lui Foutaises. Seul Jean Umansky, l'ingénieur du son, est nouveau venu. Ils ont quasiment tous la quarantaine, réunis aussi autour de Claudie Ossard, la fidèle productrice de Jeunet, dont la société de production se partage entre publicité et cinéma. Une ébauche de famille, regroupée les quelques mois que dure la fabrication d'un film. «On a travaillé plus de deux mois à la préparation d'Amélie, raconte le chef-op Delbonnel. On parlait plus couleur que lumière. Mais aussi contraste, densité, émotion. Il avait des partis pris forts, que l'on voie tout. Mais sans pour autant arriver à une image réaliste.» Un travail qui lorgnait vers l'imagerie de carte postale, le chromo. «Il fallait aller vers l'or, avec une dominante vert doré. Que ça brille.» L'envie de travailler la lumière, Bruno Delbonnel l'a eue à 18 ans en voyant travailler Henri Alekan. C'était son premier court-métrage. Il avait fait philo, une petite école de cinéma, et voilà. Delbonnel vient d'achever le tournage du dernier film de Peter Bogdanovich, le réalisateur de The Last Picture Show, et il se prépare au nouveau Sokourov, Père et fils. Bon pour la carte de visite, mais aux antipodes cinématographiques. «A chaque fois, explique Delbonnel, j'apporte ce que je suis. Même si je dois répondre à une demande.»
La chef décoratrice et l'ensemblière, Aline Bonetto et Marie-Laure Valla, sont ce qu'elles appellent des self women. Aline, après de longues années d'errance en Afrique et en Inde («cela a imprimé des images»), a travaillé pour la première fois sur un clip d'Eric Moreno, Mon Beau Bateau, puis sur des publicités pour Claudie Ossard, Delicatessen en 1990. «Il faut servir l'histoire, savoir s'effacer, dit-elle, faire des propositions de déco qui laisse de la souplesse à la mise en scène. Mais le décor peut raconter ou même devenir un personnage.» Avec ses deux assistants, Delphine Mabed et Mathieu Junot, et son ensemblière, ils se sont raconté le film : «Ce n'était ni le Paris de Doisneau ni le Paris d'aujourd'hui. Alors, on a retravaillé les extérieurs, vidé les rues, repeint les façades, effacé les tags...» La chambre d'Amélie, elle l'a voulue rouge «parce qu'elle bouillonne» et elle n'a laissé à personne le soin de fabriquer le petit mausolée d'Amélie, la coquille avec les deux canards. «Nous avions trois mois pour courir les puces, les boutiques, à collecter les objets», raconte Marie-Laure Valla. A 29 ans, elle a commencé comme assistante metteure en scène après avoir travaillé sur la parade du bicentenaire de Jean-Paul Goude, en 1989. Elle opte vite pour ce métier de l'ombre que prend en charge l'ensemblière : «J'ai du mal sur les plateaux, je préfère travailler dans mon coin.»
Equation. Vincent Arnardi, lui aussi, est absent du plateau. Mixeur, il n'arrive qu'à la toute fin du film. Il aime comparer son travail à la cuisine. «Mixer, dit-il, c'est doser les sons pour arriver à un goût parfait.» Venu, comme Jeunet, de Nancy, ce Corso-Gênois a appris le métier sur le terrain. Dix ans d'assistanat avec Jean Neny : «Apprendre les règles, les bases et la passion.» Lui aussi est passé par la société de Claudie Ossard. «Delicatessen a été le point de départ pour tous.» Puis il a mixé les films de Nikita Mikhalkov, de Bertolucci, et, aujourd'hui, il travaille sur le premier film de Sophie Marceau, Parlez-moi d'amour... Pour Amélie, il lui a fallu résoudre au mixage l'équation entre le Paris idyllique voulu par Jeunet et le son plus «brut» ramené par l'ingénieur du son : «Un son direct au service d'un film qui n'est pas réaliste.»
Le son direct, c'est l'école de Jean Umansky. «Je mets dans la fiction ce que j'aime dans le documentaire», avoue-t-il. Venu au cinéma par hasard, il y rencontre les héritiers de Ciné Lutte, ce groupe de cinéastes engagés issus de Mai 68. Il a fait son premier long métrage avec Maurice Pialat (A nos amours en 1982) et travaille avec Joris Ivens, Richard Coppans, Nicolas Philibert. Il fait découvrir le son direct à Nikita Mikhalkov sur Urga : «Le contexte sonore donne la vie au texte», professe-t-il. C'est par une pub qu'il rencontre Jeunet qui l'embarque illico sur Amélie. Umansky entre dans le jeu. Efface les bruits extérieurs pour gommer la ville contemporaine, mais tente de donner de la chair sonore aux imageries. «Il faut se servir du corps de l'acteur, dit-il. Quand Amélie marche dans la salle de bains, j'adore le bruit de ses pieds nus sur le carrelage. Le cinéma est avant tout un formidable territoire d'amusement pour moi.».